- Elle s'endort -
- Jean-Jacques
- 15 avr. 2024
- 3 min de lecture
Le ciel est gris et la pluie ne cesse de tomber depuis plusieurs jours, Charlotte est à quelques jours de son accouchement. Nous sommes lundi et l’obstétricien a programmé la naissance pour la fin de la semaine. Ces derniers moments n’ont pas été facile, le petit chevalier qui se maintient bien au chaud dans le ventre de Charlotte semble refaire toutes les scènes de Don Quichotte face aux moulins. Ses coups sont parfois tellement forts, qu’ils en coupent le souffle de Charlotte. Heureusement, elle tient bon, l’échéance approche, la chambre est prête, la garde-robe regorge déjà de vêtements en tout genre et la liste de naissance ne cesse de se remplir de cadeaux venant de la famille, des collègues, des amis.
Aujourd’hui, il manque pourtant une chose importante à Charlotte. Elle a le cœur gros car François est parti très tôt ce matin, appelé par son père inquiet de l’état de santé de son épouse.
La maman de François est une femme courageuse qui a élevé François tout au long de son enfance. Elle a certes fait de temps à autre quelques boulots, mais elle a toujours été là quand François en avait besoin. Et surtout, elle qui n’a pas terminé ses primaires, est pourtant capable de maîtriser les chiffres comme personne. C’est elle qui tient les cordons de la bourse à la maison, il n’y manque jamais rien. Et quand elle gagnait un peu d’argent dans ses petits boulots, cela a toujours été pour en faire profiter la famille ou pour répondre à une demande particulière de François. Aujourd’hui, c’est à son tour d’aider son papa, alors il n’a pas beaucoup réfléchi et est parti très tôt pour l’accompagner.
La journée semble interminable pour Charlotte, quand la soirée s’annonce, elle n’a toujours aucune nouvelle de son compagnon. La fatigue la gagnant, elle se dirige doucement vers ce lit qui lui tend les bras. Cela fait cinq mois maintenant que Charlotte dort sur le dos et quelques fois sur le côté quand Simon, c’est le prénom qu’ils ont donné au petit conquérant qui pointera bientôt le bout de son nez, décide de faire la fête dans sa micro boite de nuit. Mais elle rêve de retrouver sa position favorite, la tête dans l’oreiller et les deux mains glissées dessous. Elle traine son corps jusqu’au lit, les yeux régulièrement rivés sur son téléphone portable, s’allonge, ferme un peu les yeux et finit par s’endormir.
Le portable toujours au creux de sa main se met à vibrer, elle se réveille en sursaut et décroche, c’est François.
« Allô, mon amour » dit Charlotte d’une voix un peu rauque.
De l’autre côté, c’est le silence, quelques secondes pesantes, où aucun autres mots n’est prononcé ni d’un côté ni de l’autre. Puis on entend quelques sanglots, une respiration difficile. Des images et des pensées terribles traversent l’esprit de Charlotte, elle veut savoir mais elle est incapable de prononcer le moindre mot. Bientôt leur respiration se met à l’unisson, leur esprit, leurs corps sont connectés, ils n’ont pas l’obligation de parler pour se comprendre.

Au loin, dans le récepteur, Charlotte perçoit un son régulier, elle ne comprend d’abord pas très bien de quoi il s’agit et n’y prête pas consciemment beaucoup d’attention. Puis, François prononce quelques mots « Je ne vais pas rentrer tout de suite mon amour, j’ai encore besoin d’être près d’elle ». Ses mots sont entrecoupés par une respiration haletante et prononcés d’une voix grave comme si François avait crié ou chanté toute la nuit.
« Ne dis rien ma chérie, mais reste avec moi encore un peu si tu le veux bien ».
Charlotte ferme un peu les yeux et se projette en pensée à côté de son amoureux. Sans qu’ils se soient concertés François fait de même, ils se retrouvent, en pensée, quelque part dans l’univers, se tiennent la main, front contre front, ils ne font plus qu’un.
Un bruit long et sourd vient de les projeter tous les deux dans leur réalité du moment, la violence de cette prise de conscience leur fait ouvrir les yeux, la pupille dilatée, le cœur à 100 à l’heure. Les larmes coulent sur la joue de Charlotte. Le son disparaît, un silence pesant le remplace brisé par ces quelques mots de François : « Elle s’endort ».
Très beau texte emprunt d'énormement d'émotions.